Comment accueillir la souffrance quand l’autre la ressent si fort?
Dans mon travail, j’accueille des femmes qui ont vécu ou vivent actuellement de grands drames de vie. Si lourds que ça hante leurs nuits et parfois les miennes aussi. Les femmes vivant à la rue ne le sont pas par choix et bien souvent la vie a été injuste, cruelle, incompréhensible envers elle.
Quand je partage le repas avec elles ou qu’elles entrent dans mon bureau pour se confier, leur souffrance est tellement grande parfois, que les mots ne servent pas à grand-chose. Elles ont entendu mille fois de rester forte, que les nuages vont finir par partir et qu’on reprend goût à la vie après s’être guéri.
Certaines ont un trou dans l’âme. Un gros trou, depuis longtemps. Certaines le guérissent, d’autres se font arracher d’autres morceaux, mais toutes auront à vie une cicatrice qui témoignera des combats qu’elles auront menés, des guerres qu’on leur aura faites.
J’ai accueilli dernièrement une dame qui m’a rappelé que mon travail, ce n’est pas de sauver les gens. Que je ne peux pas leur promettre que tout ira mieux demain, que la souffrance partira un jour. Mon travail quand je suis au refuge, c’est d’accueillir inconditionnellement l’autre avec son histoire, ses émotions, son mal… De retenir l’espace temps afin que l’autre puisse exister tel qu’il est.
J’aurais voulu connaître un mot magique, une phrase qui lui illuminerait les yeux, mais c’est une utopie dans le monde de l’intervention. Tout ce que j’ai pu faire est de comprendre et accepter que pour certaines personnes, le mal à l’âme ne les quittera jamais vraiment. Parce que ce qu’ils ont vécu ne s’oublie pas. Parce qu’avoir mal comment ça, ça ravage tout.
Cette personne a la force de reconstruire sa vie qui a éclaté en mille morceaux, mais malgré le soleil qui brillera à nouveau, la noirceur ne sera jamais bien loin. Elle devra se battre pour continuer de vivre et s’accrocher. Elle ne trouvera que le soulagement dans l’acceptation de cette douleur. Elle pourra se bercer en se disant que son histoire permettra probablement à d’autres de tenir bon. Elle s’accrochera aux petites choses de la vie. Elle tiendra bon.
La vie n’est pas juste.
Son seul petit baume aura d’avoir été entendu et accueilli par quelqu’un qui n’a pas voulu esquiver sa peine pour tenter de lui remettre un sourire. Un sourire qu’elle aura porté trop de fois pour ne pas déplaire. Quelqu’un qui par ses silences lui aura dit : « Je te vois et je t’entends. Tu peux te déposer ici. »